Publié dans la revue le Festin n°58, été 2006

Le bestiaire et ses chasseurs

Avant ses études à l’école des beaux-arts de Bordeaux, Laurent Le Deunff avait choisi d’apprendre le dessin technique qui permet de comprendre et de représenter les formes structurant le réel. Pour lui, « tout vient du dessin » , qu’il soit utile à la conception de ses sculptures, ou que leurs thèmes s’enrichissent mutuellement.
De son enfance à Sainte-Terre, en Gironde, l’artiste a gardé le souvenir giboyeux des animaux des fermes et des forêts. Mais à l’inverse des taxidermistes qui s’évertuent à maintenir l’apparence du vivant, Laurent propose une tout autre vision du naturalisme. Il sculpte un bestiaire en matériaux éphémères (herbes macérées, cheveux humains) et s’amuse avec le grotesque des physionomies ou l’absurdité des situations (un canard de bain géant dans une chasse réservée).
Ces créatures ont pour pendant des séries de Chasseurs flous qu’il dessine avec soin au crayon Critérium, sur des feuilles de papier très lisse, dans de petits formats excédant rarement le classique A4. L’échelle modeste des oeuvres facilite leur reproduction et élargit le réseau de diffusion à la micro-édition, comme le recueil éponyme paru en 2005 chez les Bordelais de La Cabane.
Ses modèles de chasseurs, Laurent les rattache également à ses visions d’enfant, mais ils s’égrènent aussi au fil de ses vagabondages : silhouettes photographiées le long des routes en Tchécoslovaquie, image subtilisée sur la trame flexible de l’Internet ou dans un journal oublié sur la banquette d’un train pour la Scandinavie... Loin d’être des tueurs héroïques, ces chasseurs souvent sans fusils évoquent des somnambules aux gestes arrêtés, flottant dans des halos que de patients coups de gomme entretiennent non sans malice, pour le simple plaisir de brouiller les pistes. Les bords et les contours s’effacent, le paysage disparaît parfois, comme absorbé par le silence. L’errance plus existentielle. D’autres figures rejoignent ce cortège impassible, un garde-forestier, un promeneur solitaire au détour d’un sous-bois ; chacun étranger à lui-même semble hésiter entre plusieurs issues. On pense aux personnages du cinéaste Jim Jarmusch, de Down by law au fascinant Dead man qu’accompagne la guitare crépusculaire de Neil Young. Son imagnaire, Laurent le puise aussi dans la mélancolie et les fondus au blanc de la série télévisée Six feet under, dans les paysages du canadien Peter Doig ou les sculptures en bois polychrome de l’Allemand Stephan Balkenhol.